SourcesUkraine : la soeur et le meurtrier

"Avez-vous enterré votre frère ?" Le 1er décembre 2022, Katia Kholodnikov, une jeune dentiste ukrainienne à la recherche de son jumeau Andriy, reçoit ce texto. Depuis neuf mois, elle était sans nouvelles de son frère militaire, parti combattre l’invasion russe dans le Donbass aux premiers jours de la guerre. L’auteur, qui se prétend ancien soldat russe sous le nom de "Timour", affirme être le dernier homme à avoir vu Andriy vivant, avant de le tuer. Commence alors une troublante correspondance entre Katia, qui tente de faire son deuil, et le meurtrier de son frère, tombé sur le front à l’est de l’Ukraine, le 13 mars 2022 : le jour de son dernier appel. Pourtant, à partir de cette date, la messagerie WhatsApp d’Andriy a continué d’afficher "en ligne" pendant trois semaines… C’est un décret ukrainien qui apprendra à Katia, rongée par l’inquiétude, que son jumeau est bien mort. Après l’échange de messages avec Timour, la jeune femme parviendra même à lui parler, avant qu’il ne cesse toute communication.

La guerre en face
Localisations GPS, images satellite, réseaux sociaux, logiciels de reconnaissance faciale disponibles sur le Web… : à partir du récit de Katia, Sources se lance dans une formidable et vertigineuse investigation numérique. Les journalistes Ksenia Bolchakova et Poline Tchoubar reconstituent, point par point, le parcours du soldat russe afin de pouvoir l’identifier. L’équipe réussit aussi à s’entretenir avec sa sœur. Appartenant à la minorité musulmane tatare, "Timour" vient d’une petite ville de Bachkirie, région qui paie un lourd tribut à la guerre, avec le plus fort taux de mortalité des combattants en Ukraine. En filigrane, l’enquête dessine l’archétype du soldat russe envoyé sur le front par Vladimir Poutine, à l’heure où, pour compenser le nombre croissant de victimes, le Kremlin continue, à grand renfort de propagande, de recruter massivement dans l’armée pour atteindre, à la fin de l’année 2024, un effectif total de 1,3 million d’hommes.

Rédacteur en chef : Sylvain Pak