L'instruction

En 1963, dans une Allemagne qui semble avoir oublié la guerre et le national-socialisme, l'ouverture du procès de Francfort met fin à l'amnésie collective : d'anciens soldats SS sont jugés pour leur implication dans le fonctionnement du camp d'Auschwitz, près de vingt ans après la fin des procès de Nuremberg. Témoins et accusés défilent à la barre durant cent quatre-vingts jours, les uns décrivant le pire dont l'humanité est capable, les autres se réfugiant derrière des procédures et des ordres, preuve d'un déni persistant.

Huis clos judiciaire
Avant même l'annonce du verdict de ce procès dont il a assisté à certaines sessions, le dramaturge Peter Weiss achève L'instruction, Oratorio en 11 chants, pièce de théâtre documentaire (concept qu'il contribue à théoriser), qui s'appuie sur ses notes, les procès-verbaux des audiences et les articles de presse. Alors qu'il lui paraissait impossible de représenter sur scène l'horreur des camps de concentration, l'écrivain germano-suédois voit dans ce procès l'occasion d'aborder au théâtre ce qui s'est déroulé à Auschwitz. Il reprend ainsi certaines prises de parole des témoins et accusés et en fait le matériau principal de sa pièce : une jeune femme qui reconnaît le médecin chargé de trier les détenus lorsqu'ils arrivaient au camp ; le chef de gare qui assure ne pas avoir compris où étaient amenées ces personnes entassées dans des wagons à bestiaux ; le juge qui pose ses questions avec un calme inébranlable… Soixante ans plus tard, le réalisateur allemand R. P. Kahl s'empare de ce huis clos judiciaire en augmentant considérablement le nombre de témoins, mais en respectant les grands principes de la pièce, qu'il porte à l'écran dans une mise en scène à l'épure saisissante. Éclairés comme sur une scène de théâtre, dans des décors pratiquement inexistants, les personnages se détachent en un clair-obscur qui accentue les expressions des visages dont la caméra s'approche parfois au plus près. Un vaste film choral de quatre heures, qui vient happer chacun au plus profond de lui-même.