Italo Svevo - L’écrivain génial de Trieste

Aronne Ettore Schmitz – alias Italo Svevo, le nom de plume qu'il s’est choisi pour signer son premier roman en 1892, et dont la signification (“Italien souabe”) exprime sa double identité italienne et germanique – reste indissolublement lié à la ville de Trieste, entre Méditerranée et Mitteleuropa. Ancrée dans l'atmosphère à la fois provinciale et cosmopolite de ce port austro-hongrois rétrocédé à l'Italie en 1918, son œuvre profondément moderne, guidée par un art méticuleux et ironique de l'introspection, a surtout connu une gloire posthume. C'est en 1925 seulement, trois ans avant sa mort, que son roman La conscience de Zeno, devenu un classique traduit dans une vingtaine de langues, lui vaut une reconnaissance littéraire. Dans les lieux où il a vécu comme dans les pages de ses livres, ce documentaire explore les multiples contradictions d'un écrivain demeuré en partie méconnu, dont "l'essentiel de la vie se déroula à l'intérieur de lui-même", selon le mot de son frère Elio.

Le clandestin des lettres
Italien passionnément attaché à la langue allemande, explorée avec Goethe et Schopenhauer dans l'internat suisse où son père l'a envoyé apprendre les rudiments du commerce, Svevo (1861-1928) fut déchiré durant toute sa vie entre sa passion pour l'écriture et le statut de bourgeois auquel le destinait sa famille. D'origine juive, il se convertit au catholicisme pour épouser, à 35 ans, la jeune Livia Veneziani, dont les parents dirigeaient une entreprise florissante, ce qui lui permit de quitter un emploi détesté dans une banque pour travailler avec ces derniers. Peu après, l'échec complet de son deuxième roman, Senilitá (1898), vint doucher son espoir secret d'une carrière littéraire. Mais ce gros fumeur, qui comparait son besoin d'écrire à son addiction à la cigarette, ne put renoncer à sa double vie. Sa rencontre en 1903 avec un jeune professeur d'anglais nommé James Joyce, qui reconnut immédiatement son talent, lui donna le courage de se consacrer pleinement à Zeno, cet autre lui-même, menteur et tourmenté, qui invente des rêves pour son psychanalyste et épie jalousement les faits et gestes de son épouse... Éclairé par des spécialistes de l'œuvre, ce parcours triestin sur les traces d'un clandestin de la littérature est aussi une invitation à le rencontrer à travers son héros.