Henry Fonda - La justice pour devise

Le jeune avocat maladroit, futur Abraham Lincoln, le métayer brutalisé par la Grande Dépression des Raisins de la colère, le juré seul contre tous, défendant un accusé dans Douze hommes en colère… Henry Fonda a créé, par le choix de ses films les plus emblématiques, un malentendu qui lui a valu sa carrière. Marqué à 19 ans par le lynchage, sous ses fenêtres, de William Brown, un ouvrier noir, le jeune homme du Nebraska, étoile montante de Hollywood, entame une collaboration fructueuse avec John Ford, explorant les failles, les rêves et les blessures du passé de l'Amérique. Mais celui en qui tous voient le visage de l'Américain intègre, révolté par l'injustice, ne s'y reconnaît guère. Préférant l'anonymat, il n'aime pas parler de lui. John Steinbeck, qui le rencontre après l'immense succès de l'adaptation des Raisins de la colère, en dresse alors un portrait fantasmé : "Henry me fait l'impression d'un homme qui tend la main tout en étant inaccessible, doux mais capable d'une violence sauvage, soudaine et dangereuse, très critique envers les autres mais tout autant envers lui-même, emprisonné, luttant contre ses barreaux mais timide dans la lumière, férocement opposé aux contraintes extérieures, s'imposant un esclavage de fer. Son visage est l'image du conflit des opposés." Auquel Henry Fonda répond : "Je ne penserai jamais à moi en lisant ces mots." 
 
"Faites qu'ils ne voient pas les rouages" 
Sur le canevas d'une ample filmographie, Alexander Horwath brosse le portrait d'un homme qui a contribué à redéfinir les canons de la masculinité à travers un jeu oscillant entre virilité et passivité, agressivité et affabilité : la synthèse de l'homme du Midwest, taciturne, perfectionniste et réservé, qui fait preuve d'intégrité dans l'action plutôt que de s'épuiser en vaines paroles. Star malgré lui, attiré par l'idée de disparaître derrière ses rôles ("Mon dieu, faites qu'ils ne voient pas les rouages tourner", s'inquiétait-il de son jeu), l'acteur qui aura affiché son soutien à des organisations antifascistes avant la Seconde Guerre mondiale, puis à des hommes politiques démocrates (une idéologie transmise à sa fille Jane, malgré des rapports complexes), a marqué un pays en perte de repères moraux et politiques. Il s'éteint à Los Angeles à l'été 1982. Celui qui confiait "si vous m'avez bien écouté, vous aurez compris que je ne m'aime pas" n'a aucune sépulture : juste un simple jardin de roses, dans son Nebraska natal.