Le gouvernement britannique a annoncé jeudi la suspension de ventes d'armes à l'Arabie Saoudite pouvant être utilisées au Yémen, après une décision de la cour d'appel de Londres les jugeant non conformes au droit. Le ministre du Commerce International, Liam Fox a annoncé cette suspension devant le Parlement, tout en soulignant que le gouvernement allait tenter d'interjeter appel. "Dans l'intervalle, nous n'accorderons pas de nouvelles licences (de ventes d'armes) à l'Arabie saoudite et à ses partenaires de la coalition qui pourraient être utilisées dans le conflit au Yémen", a-t-il ajouté. À Washington, c'est le Sénat qui a bloqué une vente d'armes à l'Arabie en s'opposant à Donald Trump.
L'Arabie saoudite intervient militairement au Yémen voisin depuis 2015, à la tête d'une coalition régionale en soutien aux forces pro-gouvernementales opposées aux rebelles Houthis, soutenus par l'Iran. La cour d'appel de Londres a estimé jeudi que la vente d'armes à l'Arabie saoudite par le Royaume-Uni dans le contexte du conflit au Yémen avait été entachée d'une "erreur de droit sur un point important". L'exécutif britannique "n'a pas évalué si la coalition dirigée par les Saoudiens avait commis des violations du droit international humanitaire par le passé, pendant le conflit au Yémen, et n'a pas même tenté de le faire", a détaillé Terence Etherton, président de la division civile de la Cour d'appel. "Le gouvernement doit reconsidérer la question", a-t-il insisté. Le magistrat a toutefois aussi indiqué que le jugement ne signifiait "pas que les licences d'exportation d'armes vers l'Arabie saoudite" devaient être "immédiatement suspendues".
L'Iran "seul bénéficiaire"
Pour le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir, "la décision du tribunal touche plus à la forme qu'au fond" et "aucune culpabilité n'a été trouvée".
"Les licences de ventes d'armes (qui ont été accordées) vont se poursuivre" et les nouvelles licences "attendront" jusqu'à ce que le gouvernement britannique fasse les "changements nécessaires à ses procédures", a-t-il réagi lors d'une conférence de presse à Londres. Si les ventes d'armes s'arrêtent, "le seul bénéficiaire va être l'Iran", a-t-il assuré, soulignant que son pays "se bat pour empêcher l'Iran de prendre le contrôle de pays stratégiquement importants".
La justice britannique avait été saisie en 2015 par une organisation militant contre le commerce des armes, Campaign Against Arms Trade (CAAT), qui tentait d'obtenir la suspension des ventes britanniques de bombes et d'avions de chasse à l'Arabie saoudite. Selon l'ONG, le gouvernement britannique s'est rendu coupable de "violations graves et répétées" du droit humanitaire international en fournissant des armes à la coalition dirigée par Ryad.
L'organisation, qui avait saisi la cour d'appel après avoir été déboutée en juillet 2017 par la haute cour de Londres, a "salué" le jugement rendu jeudi. "Cet arrêt historique signifie que le gouvernement doit maintenant cesser de délivrer de nouvelles licences d'exportation d'armes, suspendre les licences existantes et revoir toutes les décisions d'exporter des armes vers l'Arabie saoudite", a-t-elle déclaré dans un communiqué. Amnesty International et Human Rights Watch, qui ont soutenu la procédure, se sont également réjouis. Pour Clive Baldwin, de HRW, "tous les autres États de l'UE devraient cesser immédiatement les ventes d'armes à l'Arabie saoudite".
Avant le Royaume-Uni, l'Allemagne avait décidé de geler les ventes d'armes à Ryad, à la suite de l'assassinat en octobre 2018 du journaliste saoudien Adnan Khashoggi, critique du régime, dans le consulat saoudien à Istanbul. La France s'y est pour sa part refusée. L'organisation non gouvernementale française Acat (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) en a profité pour réclamer à nouveau le gel immédiat des ventes d'armes à Ryad, estimant que la France doit "assurer qu'elle ne se rend pas complice des atrocités commises contres les populations civiles au Yémen".
Dans un autre contexte, le Sénat américain a bloqué jeudi une vente d'armes à l'Arabie saoudite et à d'autres pays arabes autorisées par Donald Trump, un signe de défiance à la politique présidentielle favorable à Ryad malgré la guerre au Yémen et l'assassinat d'un journaliste saoudien. Plusieurs élus de la majorité républicaine ont voté avec les démocrates pour s'opposer à cette vente que l'administration Trump avait autorisée en invoquant une situation d'urgence provoquée par l'Iran, pour contourner le Congrès.